Une héroïne suisse tombée dans l’oubli

Deux réalisateurs se sont lancés sur les traces effacées de Gertrud Woker. «La Pacifiste» met en lumière la vie d’une héroïne oubliée qui était pourtant en avance sur son temps.

Die Pazifistin

Si Gertrud Woker (1878–1968) n’avait pas été une femme, elle aurait vraisemblablement intégré les livres d’Histoire. En effet, l’activiste bernoise voulait sauver le monde des attaques chimiques et nucléaires. Et le rendre monde meilleur.

Gertrud Woker était pacifiste, féministe, chimiste et avant tout – courageuse. Dotée d’un incroyable esprit combatif et d’une volonté à toute épreuve, elle s’est également engagée pour l’égalité des sexes. Dès 1917, elle revendiquait: «À travail égal, salaire égal!»

Enfant déjà, Gertrud Woker est avide de connaissances. Mises à part les tâches ménagères, tout l’intéresse. Elle ne veut pas se marier pour ne pas avoir à faire le ménage ou la cuisine pour quelqu’un d’autre. Elle souhaite apprendre, passer sa maturité, étudier, changer le monde. Contre sa volonté, elle est toutefois envoyée dans une école d’économie familiale à Erfurt en Allemagne. Elle lit et apprend en secret toutes les nuits jusqu’à 3 h en vue de passer les examens de maturité, qu’elle réussira.

En 1903, Gertrud Woker termine ses études de chimie à l’âge de 25 ans. Ses notes sont excellentes, elle écrit une thèse de doctorat et une thèse d’habilitation. En 1907, elle est la première femme de l’espace germanophone à enseigner la chimie, mais elle n’est pas professeur. Un génie dans son domaine qui ne bénéficie pas de l’attention qu’elle mérite. Elle est autorisée à enseigner l’histoire de la physique et de la chimie et dispose de son propre laboratoire, mais ce dernier est minuscule, elle ne bénéficie de pratiquement aucun financement pour ses recherches et son salaire est dérisoire par rapport à celui de ses collègues.

La Première Guerre mondiale approche et Gertrud Woker s’engage pour la paix. Dans ce but, elle part pour les États-Unis où elle donne des conférences, jusque devant la Société des Nations, précurseur de l’ONU. Cette période marque profondément Gertrud Woker et la change quand elle voit les répercussions des armes chimiques. Elle veut mettre fin à l’utilisation des produits chimiques en temps de guerre. Avec d’autres femmes, elle crée la Women’s League. Ces femmes courageuses louent un train à bord duquel elles voyagent à travers les États-Unis et le Canada. À chaque étape, jusqu’à 5000 personnes sont là pour les écouter. En 1919, la Women’s League a d’ailleurs fait partie des négociations autour du Traité de Versailles.

Gertrud Woker était en avance sur son temps, et une héroïne que d’aucuns auraient préférée muette. Elle s’est ainsi attiré les foudres du Ku-Klux-Klan aux États-Unis et de l’armée en Suisse. Elle a dû se battre ardemment et souffrait par ailleurs de paranoïa. Gertrud Woker a passé les dernières années de sa vie

dans une clinique psychiatrique sur les rives du lac de Neuchâtel. Son dossier a longtemps été gardé sous scellés et les conditions exactes de son séjour là-bas ne sont pas connues.

Avec «La Pacifiste» (2021), Fabian Chiquet et Matthias Affolter rendent hommage à cette héroïne tombée dans l’oubli. Le nouveau film documentaire est émaillé de témoignages, notamment des petits-neveux et petites-nièces de Gertrud Woker, ainsi que d’historiennes telles que Franziska Rogger, ce qui lui apporte beaucoup de justesse et d’authenticité. Les deux réalisateurs ouvrent au monde un regard sincère sur une femme qui a disparu de la mémoire historique. Injustement, mais certainement pas par hasard. Pour partir sur les traces de cette scientifique suisse hors du commun, ils ont fait preuve d’un grand souci du détail, se servant notamment d’animations et de collages photos. Un portrait recherché avec soin et réalisé avec talent, qui sort le 9 septembre 2021 sur les écrans de suisse alémanique.

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